L'euro et le pouvoir d'achat des français
Monsieur le Président de la République ,
Si je peux me le permettre, je voudrais vous dire que la faiblesse du pouvoir d’achat des français n’a rien à voir avec le fait que « l’euro soit trop fort ». L'euro est un coupable idéal mais trop facile. D’ailleurs, l’euro est une monnaie artificielle que les responsables politiques ont voulu en soutenant que la monnaie unique était censée résoudre tous nos problèmes (notamment l'inflation et l'endettement public), il leur faut donc composer maintenant avec leur création (monétaire). Les espagnols sont dans la zone euro et ils n’ont pas l’air de manquer de pouvoir d’achat, comme en témoigne l’afflux croissant des catalans dans les stations des Pyrénées.
D’ailleurs, quand on parle du taux de change de l’euro, on exprime la valeur de l’euro par rapport à la valeur d’une autre devise, le dollar par exemple. Ainsi, le fait que l’euro soit fort par rapport au dollar a permis d’amortir le choc pétrolier alors que nous réglons nos importations de pétrole en dollar. De ce point de vue, la montée de l’euro par rapport au dollar a redonné du pouvoir d’achat aux ménages français, notamment en diminuant le coût de nos importations libellées en dollars.
J’ai soutenu à mon niveau votre campagne et votre action. En tant que citoyen et militant, vous êtes le président que j'ai appelé de mes vœux. Mais je suis aussi un économiste. Certes, je suis perdu dans une petite université de province appelée à être avalée par les grosses universités dans le cadre de regroupements qui, à mon humble avis, ont peu de chose à voir avec l'autonomie réelle qui caractérise la plupart des universités dans le monde. J'ai toujours étudié l'économie par passion, et non pour briguer des titres ou des médailles officielles. Mais j’ai appris à mes dépends que la passion était moins récompensée que la docilité. Ma critique se veut donc constructive et totalement désintéressée. C'est le retour de la confiance et la prospérité de mon pays qui motive mon engagement politique et intellectuel et qui reste mon principal souci. Je ne vous cache pas non plus que je suis peiné de voir, chaque année, la plupart de mes meilleurs étudiants de master être obligés de s'expatrier pour faire la carrière qu'ils méritent. Peut-on continuer à se passer des plus entreprenants à force de ne pas vouloir effrayer les chercheurs de rente ?
Permettez-moi malgré tout de vous dire qu’il vous faut vous entourer de meilleurs conseillers en matière économique. La gaffe de la TVA sociale vous a déjà coûté quelques sièges de députés. N’oubliez pas pourquoi les Français vous ont porté au pouvoir et ce qu’ils attendent de vous. Ils vous ont entendu tourner la page de la génération 68 et dialogue social tronqué, et non chercher une légitimité présidentielle auprès des intellectuels de gauche ; ils vous ont acclamé quand vous vous êtes engagés à stopper la dérive des dépenses publiques et sociales et non à distribuer de faux droits que les mêmes devront encore financer. Sitôt au pouvoir, vous parlez de nouveaux prélèvements, vous vous en prenez à l’Euro et vous consultez ceux qui sont hostiles à vos réformes (notamment dans le domaine universitaire) pour pouvoir gouverner alors que vous avez toutes les cartes en main à l’issue de quatre scrutins qui vous furent tous favorables.
La Banque Centrale ne fait que son travail et n’est en aucune manière responsable de notre surendettement et de la faiblesse du pouvoir d’achat des français. Le taux de change de l’euro n’est pertinent que par rapport à nos relations économiques avec l’extérieur. Pour les touristes français visitant l’étranger, la force de l’euro est une bonne chose. Et pour les étrangers qui visitent la France (et je rappellerai que la France est la première destination touristique au monde), la force de l’euro augmente la valeur des recettes touristiques générées par cette fréquentation touristique.
Ne cherchez pas ailleurs, l’usure du pouvoir d’achat des français est d’origine interne. Elle est endogène à notre propre système de redistribution dont le principe même de fonctionnement incite à la dépense et l’irresponsabilité collective. Autrement dit, notre système est inflationniste. Mais comme nos dirigeants ne peuvent plus manipuler la masse monétaire (pour nous extorquer un impôt déguisé appelé inflation) alors ils multiplient les prélèvements de toutes sortes et fabriquent de la dette (à défaut de pouvoir faire tourner la planche à billet) [1].
Ainsi, l'usure du pouvoir d'achat est liée à la part accrue de ces prélèvements (publics et sociaux) destinés à financer des dépenses publiques et sociales que plus personne ne maîtrise. Tous les précédents gouvernements français se sont acharnés à rendre indolores ou invisibles cette montée des prélèvements. Ils sont tellement invisibles que l'on ne voit même plus qu'ils amputent à la source même le revenu des actifs, réduisant toujours plus la part du revenu réellement disponible, c’est-à-dire la part du revenu que le ménage peut librement utiliser pour ses besoins de consommation et d’épargne (consommation future) [2]. Mais le résultat de ces prélèvements (quel que soit le nom qu'on leur donne et qu’ils soient visibles ou pas) se traduit inévitablement par une perte de pouvoir d’achat et une fragilisation des capacités d’épargne (et donc d’investissement). Le pouvoir d'achat vient toujours du pouvoir de produire : quand on produit peu, on consomme peu ; et quand on innove peu, on produit de moins en moins.
Là est donc la seule source d’érosion du pouvoir d’achat des français. S’attaquer à l’euro est un faux problème. La vraie rupture, que vous incarnez toujours aux yeux des français, consiste donc à s’attaquer à la cause unique et interne de notre appauvrissement : la maîtrise des finances publiques et sociales.
[1] JL Caccomo, « Histoire des relations tumultueuses entre monnaie et finances publiques », Revue Sociétal n° 56, 2ème trimestre 2007, Paris.
Jean-Louis Caccomo
http://www.dailymotion.com/video/x12gam_pedagogie-economique-par-l-http://caccomo.blogspot.com/